Carré 38
Carré d'étude réservé par 𝑀𝑒𝒾𝒿𝑒 LESTIEN
Un lieu qui ne dit rien, mais laisse une trace
Le ciel est resté bas toute la journée, comme une couverture humide posée sur les toits. La lumière écrase les couleurs et le vent froid passe sous mon manteau. Au croisement, à part les gens pressés de rentrer, rien ne bouge vraiment.
À mes pieds, un vélo est tombé, abandonné dans une flaque, comme s’il avait renoncé lui aussi. Tout semble posé là par défaut.
Je lève les yeux vers les murs du collège, immenses et indifférents. On oublie facilement que derrière, des centaines de vies se croisent chaque jour, qu’on y apprend, qu’on s’y chamaille, qu’on grandit sans trop s’en rendre compte.
Plus loin, un bar fermé, un tabac rideau tiré, un petit restaurant qui attend un client qui ne viendra pas. La rue retient son souffle. Les passants marchent vite, la tête enfouie, les vélos filent sans bruit, les voitures s’impatientent, les feux changent machinalement.
Je reste pourtant un peu, sans raison. À la sonnerie, les collégiens sortent par vagues, manteaux trop grands, sacs qui s’ouvrent, voix qui montent puis disparaissent. Ils glissent sur les pavés mouillés, s’éparpillent au coin de la rue.
Quelque chose revient en moi, doucement. Pas un souvenir précis : une sensation, une nostalgie discrète. Cette ambiance morose, je l’ai connue dans mon propre collège. Et aujourd’hui, elle ne remonte que sous forme de fragments presque doux.
En les regardant courir sous la pluie, je me dis qu’ils ne savent pas encore que ces journées grises deviendront peut-être, un jour, leurs repères silencieux. Des bouts de vie qui reviennent sans prévenir.
La pluie s’intensifie. Les voix s’éteignent, la rue se vide. Le vélo reste au sol, fidèle à sa place, comme un détail oublié.
Je me lève. En m’éloignant du croisement, je garde cette impression diffuse : certains lieux laissent une trace sans prévenir. Même ceux qu’on traverse sans les aimer. Même ceux où rien ne se passe vraiment. Peut-être surtout ceux-là.
La rue sans mouvement, sauf ce qui la traverse.

Un vélo à terre, reflet silencieux de l’atmosphère du jour.

Le collège, simple décor aujourd’hui, mémoire demain.

Des commerces qui témoignent du manque de vie au croisement.


